Le premier fast social food francais

Article Par: Hugo Martorell (2025 04 04)

🔗 Contexte : Classe > Alimentation > Des communs dans l'assiette

L'Après M, l'ancien McDonald-Saint-Barthélemy, se situe sur un rond-point qui dessert le cœur des « Quartiers Nord » de Marseille. La genèse sociale de l'Après-M, c'est avant tout celle d'un milieu de vie au carrefour de l'immigration, des politiques d'urbanisme, de l'engagement militant et de la vie populaire quotidienne. Ce texte tente de mettre en lumière ce paysage urbain et alimentaire, de rendre compte de l'histoire militante au sein d'une enseigne de restauration rapide et des priorités de l'Après M depuis sa création.

L'Après M se situe à quelques pas des cités Busserine, Sainte-Marthe et Saint-Barthélémy, dans ce qui est connu comme le Grand Saint Barthélémy. Ce territoire correspond à l'espace de la grande zone d'urbanisation prioritaire de Marseille, la « ZUP n°1 » pour les urbanistes, qui regroupe sept cités HLM édifiées entre 1960 et 1975 dans une dizaine de quartiers du 13e et du 14e arrondissement. Conséquence d'une transformation urbaine qui fait passer trop rapidement des bidonvilles aux cités, les carences en matière de logement, d'infrastructure et de desserte par les transports en commun vont structurer les milieux de vie des habitants pour les cinquante prochaines années. Les dispositifs de la Ville de Marseille se succèdent pour aménager, peu ou prou, des installations sportives et des centres sociaux, réhabiliter des logements et désenclaver le territoire.

Les quartiers du Grand Saint Barthélémy accueillent plusieurs afflux d'immigration, d'origine maghrébine, afro-antillaise et comorienne, et deviennent des terreaux fertiles pour des réseaux d'entraide. Les associations locales et l'activité militante prennent forme pour améliorer le quotidien et défendre les droits des habitants dans le domaine de l'éducation, la santé, la culture, l'insertion professionnelle, la mobilité et le sport. Malgré les interventions municipales et le tissu de solidarité locale, les conditions de vie des habitants demeurent parmi les plus difficiles du pays. Dans les années 2000, le Grand Saint Barthélémy regroupait environ 20,000 habitants, une population jeune en pleine croissance. Le taux de chômage avoisinait les 50% de la population active, tandis que 60% des salariés avaient des revenus inférieurs au seuil de pauvreté.

L'offre alimentaire sur le territoire reflète les inégalités sociales. Selon le diagnostic territorial Let's Food, « pour beaucoup d'habitants des quartiers Nord, les déplacements pour réaliser les courses alimentaires sont importants. Certains quartiers n'ont aucune offre alimentaire de proximité et le paysage alimentaire est dicté par la grande distribution. » Outre les grandes et moyennes surfaces qui proposent des prix plus abordables, « les habitants font également leurs achats dans les marchés aux puces comme celui de Noailles ou dans les marchés et épiceries de proximité. Certains de ces commerçants de quartiers vont même accepter des crédits informels à leurs clients réguliers et fidèles. »

Les grandes enseignes de fast food sont aussi présentes dans les quartiers Nord de Marseille. La possibilité de se restaurer à bas prix et de socialiser à des heures tardives, puis la facilité d'implantation du système de franchise, expliquent en partie leur popularité. Le McDonald Saint-Barthélemy ouvre en 1992 : c'est le premier restaurant sous cette enseigne qui ouvre dans un quartier en périphérie des centres-villes. Il se distingue car il est subventionné par l'État pour employer soixante-dix-sept habitant.e.s du quartier, dont cinquante-cinq dans des contrats stables à durée indéterminée, ce qui est inhabituel dans ce type d'établissement. Les salarié.e.s s'organisent pour améliorer leurs conditions de travail : une unité syndicale se forme et s'étend dans les cinq autres restaurants de l'enseigne à Marseille.

La vente des franchises McDonald's en 2018 provoque un conflit entre la direction et les employé.e.s, dont les principales étapes seront relayées dans la presse. Les méthodes managériales du nouveau propriétaire, jugées autoritaires, inquiètent les employé.e.s qui manifestent et occupent les six établissements de la ville. Dans le cas de Saint-Barthélemy, après le retrait du soutien de l'État, la vente s'opère sous condition d'une restructuration qui éliminerait les postes managériaux occupés par les employé.e.s syndiqué.e.s. Selon le propriétaire, l'établissement succombe à des pertes financières ayant entrainées un déficit trop important. Les employé.e.s dénoncent une « faillite organisée » pour se débarrasser de syndicalistes devenu.e.s gênant.e.s. Le soutien local - associations, collectifs, Gilets jaunes - s'intensifie autour des employé.e.s. Le tribunal sanctionne un règlement de faillite fin 2019 et l'établissement ferme.

La pandémie et les mesures sanitaires et policières déclenchent de nouveau une mobilisation des habitant.e.s du quartier. Le bâtiment du McDonald est occupé par les ancien.ne.s employé.e.s, les habitant.e.s et les associations du quartier et devient, dans une processus de réappropriation habitante, un espace d'expérimentation. Dans les zones de stationnement et les locaux rebaptisés l'Après M, des activités d'entraide s'organisent, des bénévoles récupèrent des dons, les trient et les redistribuent. Un dispositif de livraison est mis en place pour les personnes à mobilité réduite. L'expérience rencontre un engouement rapide : jusqu'à deux mille familles bénéficient des repas chaque semaine. Des associations de maraude y préparent également des repas chauds pour les personnes sans domicile fixe du centre-ville. D'autres initiatives émergent : l'instauration d'un groupement d'infirmières libérales, l'organisation d'activités de soutien scolaire ou encore la création d'un petit jardin partagé.

Malgré plusieurs menaces d'expulsion et avis de démolition déposés par McDonald France, le collectif lance la campagne « Laissez-nous les clés ». Il crée l'association SCI La part du peuple. Le terme SCI fait partie du nom, et ne désigne pas le statut juridique de l'organisation. Il est à entendre pour« Société Citoyenne Immobilière » et non « Société Civile Immobilière ».1. Elle a pour vocation de collecter les contributions financières qui permettront de racheter les locaux et les équipements. Mais alors que la campagne bât son plein, la mairie annonce le rachat de l'établissement, en signe de soutien au collectif. S'ensuivent de nombreux mois de négociations qui aboutiront à la signature d'un bail précaire et transitoire pour un loyer mensuel de mille trois cent euros. Le collectif espère encore, à terme, obtenir un bail de longue durée.

Plusieurs dispositifs permettent d'envisager la pérennité de l'Après M. Le terrain sur lequel se situe le projet accueille une activité bicéphale. D'un côté le projet de V.I.E (Village des Initiatives d'Entraide), porté par la SCI La part du peuple, mobilise les bénévoles autourde la distribution de paniers alimentaires ainsi que d'actions culturelles et d'éducation populaire. Aujourd'hui, ce sont entre cinq-cent et sept-cent personnes qui se présentent à la distribution tous les lundis matin. Cette partie de l'activité de l'Après M repose sur une économie de réciprocité faite de dons en nature et monétaires. De l'autre, une SCIC (Société Coopérative d'Intérêt Collectif) est créée pour porter et gérer le restaurant qui emploie aujourd'hui une trentaine de personnes dont une vingtaine en insertion, sur un modèle d'économie solidaire.

L'Après M est le premier « fast social food » en France -- il est d'ailleurs l'inventeur du concept. L'équipe tente de réconcilier les attentes des consommateurs en matière de choix, de rapidité et de prix, avec un approvisionnement de qualité, éthique et de proximité : frites fraîches d'une commune avoisinante, pain d'une boulangerie lancée par des jeunes du quartier, viande halal de la boucherie voisine ... Sous le mentorat d'un chef gastronomique, Gérald Passedat, l'Après M lance sa propre gamme de produits signatures : les sandwichs OVNI. La mission de l'équipe demeure tant de favoriser l'emploi ( notamment celui des jeunes du quartier ) que de permettre à des personnes à faibles revenus d'avoir accès à des repas gratuits.

Aborder l'alimentation en commun implique de considérer les dynamiques territoriales et gouvernementales qui dépassent le cadre de l'Après M et des Quartiers Nord de Marseille, en se demandant lesquelles contribuent, directement ou indirectement, à améliorer l'accès à l'alimentation et les conditions de vie des habitant.e.s. Sur les enjeux d'accès à l'alimentation, la Ville de Marseille, par ses programmes de santé publique, anime et soutient un « réseau nutrition » auprès de seize organisations sociales, tandis qu'au niveau départemental et métropolitain, les pouvoirs publics financent des projets de « paniers bio solidaires » menés par les associations Les Paniers Marseillais et les Amap de Provence, qui permettent de diminuer les coûts des paniers de vingt euros à de tyrois à sept euros pour les ménages à faibles revenus. D'autre part, le département des Bouches-du-Rhône et la métropole Aix-Marseille Provence interviennent activement sur les plans de la production et de la distribution alimentaire, à travers des mesures ciblées sur plusieurs fronts, dont l'approvisionnement des cantines scolaires, l'investissement dans les Marchés d'intérêt national, la promotion des produits locaux et de l'agriculture urbaine, la préservation du foncier agricole, l'établissement de nouvelles fermes et l'amélioration des pratiques agricoles et de gestion de l'eau. L'implication des différents paliers de gouvernance et la diversité des moyens employés, notamment sur le plan financier, est notable. Cependant, le lien avec lles actions et les aspirations des habitant.e.s des Quartiers Nord ne semble pas évident, voire est absent-, de ces démarches supra-locales.

Ce texte a dressé un portrait de l'environnement urbain et alimentaire du premier fast social food de France et a retracé son cheminement. L'Après M intègre une gamme de pratiques des communs qui surprend par sa diversité et sa cohérence : organisation démocratique, mécanismes d'entraide, défense des droits des habitant.e.s et mise en place de conditions de travail dignes pour les salarié.e.s, réappropriation d'espaces pour la convivialité et la mixité sociale, territorialisation de l'approvisionnement alimentaire... Considérant tant son caractère unique que la mobilisation qui l'entoure, ne pourrait-on aspirer à ce que l'Après M devienne un jour sa propre franchise sociale ?

Sources

LAprès M. Site web.

Virginie Baby-Collin, Stéphane Mourlane. 2011. « Histoire et mémoire du Grand Saint Barthélémy à Marseille, entre immigration, politique de la ville et engagement associatif ». Diasporas. Circulations, migrations, histoire, 17, pp.26-41. Alshs-00784522

Anna Faucher, Louison Lançon. 2021. Territoire résilients - Pour un système alimentaire durable et équitable - Marseille, France. Let's Food. 201 pages.

Hannah Olivetti. Mars 2022. Projet en coopération - Après M, le fast-social food. La Fonda.

Michel Caire. 2024.Le département des Bouches-du-Rhône et la métropole Aix-Marseille Provence soutiennent l'agriculture et les agriculteurs. Destimed.

Loïs Elziere. 8 décembre 2022. Vidéo L'Après M lance son fast-food social et solidaire dans les quartiers Nord. Made in Marseille.

Guillaume Origoni. 26 mai 2021. «L'Après M» à Marseille: une utopie citoyenne veut faire table rase d'un McDo au profit d'un «fast-food social». Slate.

20 Minutes/France Presse. 11 décembre 2019. Marseille : Le McDo de Saint-Barthélémy va être placé en liquidation judiciaire après un long combat.

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  1. A l'Après M, chaque expérimentation d'une forme d'action s'accompagne d'une invention lexicale, et plus particulièrement d'acronymes qui tentent de transformer les imaginaires : UBER solidaire y désigne la distribution de colis alimentaires et signifie « Union Bienveillante d'Entraide pour les Repas Solidaire », une action qui fait partie du Projet de V.I.E,, ou V.I.E se déploie en « village des initiatives d'entraide », etc ... Cette stratégie contre-culturelle embarque démarche artistique, pratique habitante et geste politique dans une expérience d'occupation d'espace