Un groupement d'achat tropical à Toulouse

Article Par: Hugo Martorell (2025 04 04)

🔗 Contexte : Classe > Alimentation > Mixagrumes et le Galline Felici

Mixagrumes est un groupement d'achat solidaire qui s'inspire des pratiques des AMAP (Association pour le Maintien d'une Agriculture Paysanne). Basé à Toulouse, il rassemble deux-cent-cinquante mangeurs et mangeuses qui s'approvisionnent en fruits tropicaux auprès de paysans et de fournisseurs d'Andalousie et de Sicile. Après avoir décrit la trajectoire du collectif d'artistes Mix'Art Myrys, dont Mixagrumes est issu, le texte qui suit revient sur le contexte régional des circuits courts en Midi-Pyrénées. Enfin, il se penche sur le principal partenaire de Mixagrumes, Le Galline Felici, une coopérative agricole sicilienne dont la relation avec Mixagrumes a fait l'objet de l'en-quête de l'école des communs de l'alimentation. Il espère ainsi mettre à jour le contexte social, géographique et agricole à l'origine de ce groupement d'achat et les pratiques d'alimentation en commun qui y voient le jour.

Né dans le mouvement squat des années 90, Mix'Art Myrys défend l'indiscipline, le droit à l'expérimentation, la démocratie directe et l'autogestion. Inspiré d'un esprit hors-norme et contre-culturel, le collectif regroupe soixante artistes visuels, numériques, sonores, hybrides, trente compagnies de spectacle vivant, dix groupes de musique, soit près de trois cent artistes à l'année. Depuis sa création en 1995, Mix'Art investit différents locaux à l'abandon, de manière « illégale et légitime », comme il se plait à le rappeler.

Après avoir occupé quatre ou cinq bâtiments différents, dont l'usine de chaussures Myrys, d'où lui vient son nom, et l'ancienne préfecture de Toulouse, le collectif s'installe, légalement cette fois-ci, au 12 rue Ferdinand Lassalle, dans le quartier des Ponts Jumeaux. Dans une halle de stockage désaffectée de quatre-mille-cinq-cent m2, vont se construire vingt-cinq ateliers, deux plateaux, une salle audiovisuelle, une salle de concert, un « hackerspace », des espaces de construction, de création et d'exposition mutualisés. Au fil des années, c'est une véritable fourmilière culturelle, associative et militante qui prend forme.

Au sein de ce milieu, et comme partie du processus d'auto-organisation qui l'engendre, un ensemble de pratiques alimentaires voient le jour : cuisine commune, pour les permanents, catering pour les résidents, bar et petite restauration pour le public. Leur économie prend des formes divers : glanage, cuisine de rue, partenariats avec des producteurs locaux, etc... Les pratiques alimentaires se développent dans un rapports de proximité avec les activités culturelles et artistiques : les mêmes corps créent, animent le collectif, nettoient la cuisine, accueillent le public, servent à boire et à manger

Dans ce contexte, membres du collectif, ami.e.s et voisins.e.s s'organisent en AMAP et groupement d'achat, pour s'approvisionner en légumes, agrumes, viande, miel et autres produits. Des distributions sont organisées, au format hebdomadaire, mensuel, trimestriel et parfois de façon spontanée. Mixagrumes est créé en 2018 pour assurer la distribution sur Toulouse de la production d'agrumes des Galline Felici. Cependant, une séquence brutale d'évènements va venir bousculer cette dynamique.

En janvier 2021, en pleine période de confinement et de restrictions sanitaires dues à la Covid 19, le collectif reçoit la visite de la Direction de la Sécurité Civile et des Risques Majeurs de la Ville de Toulouse. Elle sera immédiatement suivie par un arrêté de fermeture administrative interdisant l'accès au bâtiment. Selon la Ville de Toulouse, les locaux, trop délabrés, poseraient un risque à la sécurité des occupants et du public. Le collectif rappelle qu'un plan de mise en conformité a pourtant été inscrit et voté officiellement au moment du rachat du lieu par la Métropole de Toulouse, et qu'un accord politique avec le Département et la Région devait permettre le lancement des travaux.

La Ville défend que ses contraintes budgétaires sont trop serrées tandis que le collectif dénonce une volonté politique de fermer les locaux et d'en expulser le collectif occupant1. Une « contre-offensive » et des manifestations sont déclenchées, mais les deux parties ne débouchent sur aucun compromis. Mixagrumes et les cinq AMAP associées au collectif, dont la logistique reposaient sur les espaces disponibles sur site, notamment pour la réception, le conditionnement et la distribution des colis, se retrouvent alors en difficulté. Privées d'accès à l'espace public, tout comme l'ensemble du collectif Mix'Art Myrys, elles doivent à terme déménager. C'est ce moment de politisation de sa pratique qui conduira Mixagrumes à s'engager dans une démarche d'en-quête autour de la question de l'implication des mangeurs et des mangeuses qui le composent.

Groupement d'achat solidaire, Mixagrumes s'inscrit dans une dynamique plus large, celle du développement des circuits courts et de la reterritorialisation de l'approvisionnement alimentaire : AMAP, points de ventes de collectifs d'agriculteurs, marchés de plein vent, kiosques à la ferme, vente en ligne... Cette dynamique territoriale, qui vise à contrer les effets négatifs de la grande distribution, tant sur la qualité des produits que sur les relations entre producteurs et consommateurs, est éviente à l'échelle de la ville de Toulouse. La capitale régionale constitue ainsi le principal foyer de développement des AMAP en région Midi Pyrénées : chaque quartier a son point de chûte AMAP, et impulse des pratiques alimentaires alternatives.

Un engouement a suivi la création de la première AMAP en 2003, qui a conduit à une stabilisation du nombre de producteurs et d'associations impliqués autour de 200 à 250 dans la région. A l'échelle nationale, le MIRAMAP (Mouvement Inter-Régional des AMAP) estime en 2016 que, 66,000 familles, soit 270,000 mangeurs et mangeuses sont membres d'une AMAP. Par ailleurs, Les AMAP demeurent une modalité d'approvisionnement en circuit court parmi d'autres, dont la vente directe à la ferme, la vente par des collectifs d'agriculteurs, les marchés de plein vent, la vente en ligne, etc. En Midi-Pyrénées, les premiers points de ventes collectifs d'agriculteurs, sont créés dans les années 1970. Ils précèdent donc les AMAP et sont d'autant plus populaires auprès des agriculteurs : en 2007, ils étaient entre sept-cent et huit-cent à être impliqués dans ce type de mise en marché.

Contrairement au caractère de production locale des exemples précédents, Mixagrumes a la particularité d'être intégré aux circuits de distribution étendus des producteurs d'agrumes et de fruits tropicaux. Ayant des fournisseurs basés en Andalousie et en Sicile, ce groupement d'achat s'inscrit dans une stratégie translocale visant à s'affranchir des coûts et des circuits liés à la grande distribution, afin de préserver l'autonomie des producteurs et la qualité de la production. Ainsi, quoique développant une façon de faire analogue à celle des circuits-courts, sa territorialité dépasse le cadre du « local » pour l'inscrire dans l'ordre du système alimentaire méditerranéen et européen. A l'origine du groupement d'achat lui-même, le lien entre Mixagrumes et Le Galline Felici nourrit, par-delà la distance qui les sépare, des formes de solidarités entre cultivateurs, mangeurs et aliments

Or, la Sicile a un contexte agricole et social bien particulier, étant une région insulaire précurseure dans le domaine de l'agriculture biologique et des circuits courts à l'échelle de l'Italie et même de l'Europe. Les terres agricoles couvrent 68% de l'île, qui a des conditions environnementales propices à la production de vergers. Le mouvement coopératif est significatif dans le secteur agricole sicilien.2 Le Galline Felici -- en français, « les poules joyeuses » - regroupent quarante paysan.ne.s spécialisé.e.s dans les arbres fruitiers et le maraîchage : oranges, mandarines, citrons, pamplemousses, figues de barbarie, etc. Ensemble, ils font face à défi environnemental : le changement climatique induit une intensification des périodes de sécheresse et de canicule. Fort de leurs engagements, Le Galline Felici accompagnent leurs membres pour qu'ils adoptent des pratiques agro-écologiques et qu'ils fassent de leurs vergers de véritables systèmes agro-forestiers sans labour, avec paillage, cultures intercalaires et méthode de conservation d'eau. En pratique, chaque ferme a un système de production qui lui est propre et varie sur le plan agronomique selon les pratiques culturales, la superficie de production, le type d'irrigation, de travail de sol et de diversité des espèces. L'implantation d'espèces tropicales, comme le manguier, l'avocatier et le bananier, est une des stratégies employée.

L'atout de la coopérative est sa capacité à mutualiser les infrastructures et à offrir des débouchés commerciaux pour les producteur.ice.s. Depuis sa création, elle a développé un réseau de distribution d'envergure en Italie, France, Belgique, Autriche, Hollande et Allemagne, rejoignant plus de 10,000 familles organisées, comme Mixagrumes, en groupements d'achats. Sur le plan social, le consortium emploie également quarante à cinquante personnes dont huit en contrat à durée indéterminée et ce, dans un contexte insulaire où le taux de chômage est de l'ordre de 20%. Un autre défi, pour les membres de la coopérative, est l'implication des jeunes dans la relève agricole. Avec l'arrivée de membres comme l'Arcolaio, qui organise des ateliers de transformation des produits alimentaires en prison, la coopérative s'investit enfin dans le mouvement de l'économie dite carcérale (et plus largement de l'économie solidaire) en mettant en place des chantiers de réinsertion.

En décrivant comment il s'inscrit dans différents contextes socio-économiques et agencements territoriaux, ce texte a dressé un bref portrait de Mixagrumes. Manger des oranges y apparaît constitutif d'un acteur-réseau qui fait tenir ensemble et appartenir la lutte contre l'expulsion d'un collectif d'artistes autogérés, l'histoire des circuits courts en Midi-Pyrénées et une écologie de coopération développée dans la longue durée entre des agriculteur.ice.s siciliens.ne.s. Ainsi, Mixagrumes laisse entrevoir l'en-commun qui se tisse entre la réappropriation d'espaces urbains, leur utilisation à des fins culturels et de subsistance, des formes d'organisation horizontales et décentralisées, l'éducation populaire, la valorisation économique de modes de production agroécologiques - une solution de continuité, des formes d'action, des agencements déjà constitués et opérants : c'est cela, une alimentation en commun. Enfin, il montre comment ces pratiques, dans leur devenir minoritaire, quoi qu'elles ne cessent de disparaître, ne cessent de se réinventer.

Sources

Mix'Art Myrys. A propos de. Site web de Mix'Art Myrys.

Philippe Salvador. 21 janvier 2021. « À Toulouse, le collectif d'artistes Mix'Art Myrys condamné à une fermeture administrative » Le Journal Toulousain.

Gabriel Kenedi. 28 janvier 2021. Mix'art Myrys. « Il y a un vrai problème concernant l'exploitation du lieu", estime Toulouse Métropole » Actu.

Michaël Pouzenc. Janvier 2019. « Portrait des circuits courts 2001-2018 en Midi-Pyrénées. » Rapport de recherche.

Valérie Olivier, Michaël Pouzenc, Jean Pilleboue. 2011. AMAP et Points de Vente Collectifs de Producteurs : questions sur leur essor en Midi-Pyrénées. Educagri éditions. Circuits courts : contribution au développement régional, pp.115-126, 2011.

Réseau AMAP Auvergne Rhône-Alpes. 23 juin 2016. «Les AMAP en France et dans le monde »

European Commission. April 2023. Factsheet on 2014-2020 Rural Development Programme for Sicily.

Le Galline Felici.

BIBLIOGRAPHIE

DOMINIQUE PATUREL

BENJAMIN SEZE

FABIENNE ORSI

BRUNO LATOUR

Maitrise D'usage Biton

Claude Levi Strauss -- La pensée sauvage

Partenaires Alimentation


  1. Le Journal Toulousain cite la démolition de la guinguette Bleu-Bleu, l'expulsion du Groupe Merci du pavillon Mazar ou celle du Dal 31 et de la fondation Abbé Pierre de leur local de l'hôpital La Grave dans la même période suivant immédiatement la réélection de Monsieur le Maire. 

  2. Salamita, Valdibella, Agro Viva sont d'autres coopératives bien connues dans la région. 

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